Rencontre Pierre Chone

Pierre Chone est avocat à Washington et s’est spécialisé sur les problèmes juridiques rencontrés par les expatriés francophones à savoir principalement l’immigration (visa, carte verte, déportation…Etc.) et le droit de la famille (divorce, gardes d’enfants…Etc.). Il nous raconte son parcours et son expérience de l’université américaine.

Quel a été votre parcours là-bas ?

J’ai suivi un parcours atypique pour la France. Je suis arrivé à 25 ans aux Etats-Unis en 1982. J’avais obtenu un BTS commercial en France et je dirigeais une exploitation céréalière. Pendant la saison creuse, en hiver, je suis venu pendant 10 ans aux Etats-Unis où j’avais une activité immobilière : j’achetais des maisons, les rénovais et les revendais. Je me suis mariée à une Américaine et nous avons vécu cette vie de nomade jusqu’au jour où nous avons voulu nous installer et avoir des enfants. J’ai choisi de rester aux Etats-Unis.

Vous avez repris vos études à l’université américaine ?

J’ai choisi de retourner à l’école en cours du soir pour parfaire mon anglais. J’ai ainsi passé un BA (Bachelor Degree) en un an au lieu de 2 car mon expérience professionnelle me permettait d’avoir des équivalences. J’ai énormément apprécié la flexibilité du système éducatif américain, l’ambiance scolaire très différente de celle en France. Les rapports en France entre professeurs et élèves sont très autoritaires, péremptoires et créent plus un sentiment de révolte et de dégoût. Aux Etats-Unis, c’est un rapport d’égal plus ouvert qui m’a donné le désir de continuer à étudier à l’université. J’ai choisi de faire une école de droit.

Comment se sont passées vos études en droit ?

Cela a été 3 années enrichissantes pour moi, un vrai plaisir. Ce que je n’ai pas connu en France. Cela m’a permis d’apprendre l’anglais plus facilement et plus rapidement même si au début j’ai eu beaucoup de mal à suivre les cours. Après ces 3 années, j’ai reçu le diplôme de Jurist Doctor que vous obtenez après un Bachelor Degree (4 ans d’études) et 3 ans d’école de droit et qui m’a permis de présenter le barreau de Washington. Pour exercer en tant qu’avocat, vous devez passer le barreau de l’Etat dans lequel vous souhaitez exercer.

Quand avez-vous décidé de travailler en tant qu’avocat aux Etats-Unis ?

Je n’ai jamais eu la prétention de pratiquer le droit américain. Après l’école de droit, j’ai quand même envoyé des candidatures et j’ai eu la chance de travailler pour un petit cabinet d’avocats qui m’a donné la possibilité de développer ma propre clientèle de Français expatriés.

Quelle est aujourd’hui votre spécialisation ?

Je fais du droit de l’immigration, du droit familial et des contentieux en tous genres. Au 2/3, je fais de la « business immigration » pour obtenir des visas H1B, des cartes vertes, des visas investisseurs, des visas L, des demandes d’asile ou je travaille sur des problèmes de déportation d’immigrés. Pour le droit familial, je m’occupe de divorces et de problèmes de garde (« custody ») avec les problèmes de juridiction entre la France et les Etats-Unis que cela peut poser. Ma clientèle est composée à 70% de Francophones et le reste de toutes origines. Je suis devenu aujourd’hui l’avocat conseil de l’Ambassade de France à Washington pour venir en aide aux Français pouvant avoir des problèmes juridiques.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les problèmes juridiques que vous rencontrez en matière de droit familial ?

Il s’agit de problèmes très spécifiques aux expatriés ce qui fait l’utilité et la beauté de mon métier. Un avocat américain n’aura pas connaissance de ces problèmes. Ainsi, dans le code civil français, les articles 14 et 15 prévoient que tout citoyen a le droit d’être jugé par un tribunal français ce qui conduit à des aberrations. Un citoyen français vivant aux USA depuis 30 ans avec une femme américaine, des enfants américains et tous ses biens aux Etats-Unis peut ainsi venir prétendre être jugé en France. De mon expérience personnelle, j’ai constaté qu’un tribunal français refusera plus facilement l’application d’une décision de divorce d’un tribunal américain qu’un tribunal américain qui l’appliquera même si la décision a été prise par un tribunal français.

Estimez-vous avoir réussi ?

Au niveau financier, ce n’est pas mirobolant quoiqu’on en dise. Il faut faire une moyenne des revenus des avocats. Si j’avais continué à travailler dans l’immobilier, ce serait tout aussi intéressant. En revanche, j’en retire une grande satisfaction personnelle, je représente des individus.

Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?

C’est une société très dynamique, ouverte. C’est un pays magnifique pour y travailler, plein de dynamisme, de flexibilité avec une possibilité de créer extraordinaire qui n’a rien à voir avec des pays comme la France conservateurs et où il est difficile de sortir du moule.

Néanmoins il y a une grande différence entre l’Amérique d’avant le 11 septembre et l’Amérique d’après. Les effets ont été catastrophiques. L’administration Bush, au lieu de rassurer la population, a exploité, consciemment ou inconsciemment, la réaction de peur des Américains. Avant le 11 septembre, mon accent n’était pas un problème au contraire, cela me permettait de briser la glace lorsque je me présentais devant un juge américain ! Aujourd’hui cela commence à redevenir un peu comme avant mais tout doucement.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui souhaitent devenir avocat aux Etats-Unis ?

Il existe deux possibilités : la personne suit une formation universitaire en France puis vient 1 an faire un doctorat avec une spécialisation afin d’obtenir le diplôme de Jurist Doctor pour ensuite passer l’examen du barreau de l’Etat où elle veut exercer. Mais le taux d’échec au barreau avec cette filière est très élevé car la personne ne connaîtra pas les bases du droit américain très différent du droit français et de plus elle aura beaucoup de mal ensuite à trouver un emploi.

L’autre possibilité : La personne vient faire 2 années de formation pour obtenir le diplôme de Jurist Doctor à l’école de droit pour acquérir les bases (avec son diplôme français, elle dispose en effet d’équivalences pour ne faire que 2 ans au lieu de 3 de l’école de droit). C’est un investissement d’une année de plus mais qui facilitera ensuite sa carrière car l’examen du barreau sera plus facile et les cabinets d’avocats seront plus intéressés pour la recruter.