Rencontre expatriée usa Michelle Magnin
Michèle Magnin, professeur de littérature française à l’université de San Diego, nous raconte son parcours, les opportunités qu’il faut savoir saisir mais aussi les difficultés que certains rencontrent plus que d’autres.

Comment êtes-vous arrivée aux Etats-Unis ?

J’ai fait ma première année de fac à la Sorbonne pendant mai 68. En juin, quand tout était fini, mes parents ont souhaité m’envoyer étudier quelque part plus calme…Je suis partie étudier en Angleterre et suis restée 6 mois pour obtenir des équivalences pour suivre des études d’interprétariat. J’ai ensuite étudié à Genève à l’école d’interprètes. J’y ai rencontré mon futur mari, étudiant américain en médecine et je l’ai suivi aux Etats-Unis.

Quel a été votre parcours aux USA ?

J’y suis depuis plus de 30 ans. Je suis arrivée à New York où j’ai fait des petits jobs, j’ai trouvé du travail comme traductrice. Je suis restée 6 ans sur la côte Est (NY, New Jersey, Boston, Philadelphie). Nous sommes partis ensuite à San Diego où mes enfants ont grandi.

Appréciez-vous la vie à San Diego avec des enfants ?

Jusqu’à ce qu’ils aient 15-16 ans, San Diego était une ville très bien pour les élever. Après, c’est plus compliqué. Comme il faut toujours une voiture pour tout faire, c’est plus difficile d’être indépendant car les transports en commun sont inexistants. Je faisais parfois 3 heures de voiture à faire le taxi ! Les ados peuvent avoir le permis de conduire à partir de 16 ans mais ils ne doivent absolument pas boire d’alcool. S’ils touchent à l’alcool ou se trouvent par exemple sur une plage à côté d’adultes ayant des bouteilles d’alcool ouvertes, ils sont en infraction. Les sanctions sont alors très lourdes. Il y a aussi un couvre feu. En tant que parents, ce n’est pas très reposant… !

Vos enfants sont-ils aujourd’hui plus américains que français ?

Oui complètement. Quand ils étaient petits et qu’on allait en France : ils voulaient parler français en revenant mais une fois dans leur environnement américain, ils se remettaient à parler anglais et moi aussi ! Aujourd’hui, on se parle en anglais.

Vous avez débuté une carrière de professeur à San Diego ?

J’ai repris les cours. Au départ c’était pour parfaire ma culture dans l’histoire de l’art. Mais la France, c’était loin et j’avais envie d’écrire pour me rapprocher de la langue française. J’ai décidé de faire une thèse pour apprendre à écrire. La première année, j’étais à l’essai et puis l’université m’a acceptée pour faire mon doctorat. Au début, je passais beaucoup de temps à faire des devoirs d’une vingtaine de pages, j’ai appris la rigueur. Je me suis lancée dans ma thèse avec pour thème “la préface comme genre littéraire”. J’ai fini en 5 ans. Après ma thèse à UCSD (université publique de San Diego), j’ai attendu presque 5 ans pour avoir un poste à “tenure-track” à plein temps à USD (université privée de SD) et en sept ans j’ai eu une chaire, ce qui donne une sécurité d’emploi.

Pouvez-vous nous parler de l’American Association of Teachers of French (AATF) dont vous avez été vice-présidente ?

C’est la plus importante association de professeurs de français avec plus de 10.000 membres. C’est une ressource pour les professeurs. Différents événements et activités sont organisés chaque année : des ateliers de formation, des conférences, des voyages pour les élèves, un site web …etc.

Quelle est la présence française à San Diego ?

Il doit y avoir environ 3000 Français. C’est toujours difficile de le dire car tous les expatriés ne s’inscrivent pas au consulat. Il y a 4 associations principales : l’Alliance Française, Le French Cottage, le chapitre local de l’AATF, le Club de Pétanque. Il y a des Français expatriés de grands groupes comme Hewlett Packard qui est implanté à Poway, banlieue aisée au nord-est de San Diego, et à Grenoble.

Quels sont les plus grands traits de caractère des Américains ?

Ils sont francs, généreux, très travailleurs et efficaces. J’ai quelques exemples en tête : J’ai eu un accident de santé et une de mes co-équipières de football et son mari m’ont donné du sang : c’est un don de la vie. Ou encore, quand j’habitais près de Boston, il y a eu un blizzard tel qu’on ne pouvait plus se déplacer qu’à ski. J’avais mes enfants en bas âge dont un bébé et je trouvais du lait à ma porte tous les matins. Il y a une vraie solidarité. Pareil pendant les incendies à San Diego, il y a eu beaucoup de solidarité entre les gens. Le mari d’une collègue l’a appelé avant que le feu emporte tout en lui demandant “Que veux-tu que je prenne, la maison brûle…?” “Ma bague et mon carnet d’adresses”, lui a-t-elle répondu. Elle a tout perdu. On s’est tous mobilisés pour les aider à recommencer leur vie.

Quelle est votre ville préférée aux USA ?

Seattle. On peut circuler à vélo partout, toutes les îles sont connectées par des ferrys. Le temps n’est pas le temps californien mais au mois de juin, c’est génial !

Quel est votre plus grand regret ?

Mon rêve était de voyager partout dans le monde. Mais une fois aux Etats-Unis, je n’ai pas beaucoup voyagé car à chaque fois que j’avais un peu de temps, je rentrais en France pour voir la famille.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?

Il faut garder l’esprit ouvert, partir à la découverte. Tous les francophones qui ont eu une bonne expérience sont ceux qui ont voulu découvrir les Etats-Unis. Pour ceux qui viennent avec leur entreprise, c’est aujourd’hui possible pour leur femme de travailler (ce sont plus souvent les hommes qui sont envoyés par leur société en tant qu’expatriés) car les lois d’immigration ont changé, ceci facilite leur vie ici.

Aller aux Etats-Unis sans permis de travail, sans job, sans rien, ce n’est pas la garantie du succès…A Los Angeles, j’ai rencontré une jeune femme française sur la plage qui est venue nous voir car elle a entendu parler français. Elle vivait sur la plage et elle avait tout perdu en poursuivant son rêve. C’est triste mais cela peut parfois arriver.

Qu’est ce qui vous manquerait ?

La liberté de mouvement, l’espace, le climat californien. Grandir avec de l’espace, cela change la vie. En France, les gens ont plus souvent une mentalité étriquée ; le fait de vivre dans un environnement restreint, avec une petite cuisine, un petit salon, sans beaucoup de place jouent beaucoup. Quand on pense à un projet, on pense tout de suite aux contraintes. Par opposition, le mauvais côté aux Etats-Unis, c’est qu’il y a beaucoup de gâchis.