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Jean-Marie Apostolidès est professeur et graduate advisor à Stanford, au département de littérature française. Il nous parle de son parcours aux Etats-Unis, de son rôle en tant que professeur dans une université américaine.

Qu’est-ce qui vous a amené aux Etats-Unis ?

J’étais parti pour le Canada où j’avais commencé une carrière de psychologue et je suis arrivé aux Etats-Unis en 1979. J’ai recommencé comme beginning assistant professor à Stanford puis comme associate et full professor à Harvard pendant 6 ans. Pour des raisons personnelles, je suis reparti à Stanford où j’ai été Chairman en 1987 du département de littérature française.

Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis ?

C’était la seule porte intéressante qui s’ouvrait à moi à l’époque. J’ai pris un risque.

Comment décririez-vous les Etats-Unis ?

C’est un pays que l’on met longtemps à bien apprivoiser. Il n’y a pas tant de Français qui le connaissent. Tout au début, j’ai pensé que la France, le Canada, les Etats-Unis étaient des pays démocratiques très semblables avec les mêmes valeurs dans une langue différente. En fait, ils sont très différents, en particulier dans le comportement quotidien.

Vous avez eu la chance de connaître une belle évolution professionnelle, comment l’expliquez-vous ?

Il y a le travail avec de nombreuses publications faites (il faut au moins avoir à son actif 2 à 3 livres et pas mal d’articles pour être promu), la réputation, et aussi une part de chance. Il faut avoir un profil intellectuel à la mode. A l’époque, on cherchait des gens qui avaient une formation en sciences sociales ou en psychologie, ce qui était mon cas. Aussi, les offres que vous pouvez avoir ailleurs permettent de faire monter les enchères et vous font gagner plusieurs années car on vous fait une contre-offre. Ce système n’est pas objectif ni totalement juste, mais il marche relativement bien et entraîne plus de performance et dynamisme que la montée année par année.

Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?

La liberté, la tolérance, la recherche, l’attitude démocratique mise en pratique dans la vie quotidienne. En France, on se targue de démocratie mais notre héritage vient directement de l’Ancien Régime et beaucoup de dirigeants politiques se comportent encore comme des aristocrates vis à vis des électeurs. Le fait d’avoir changé de pays et de s’être exilé vous ouvre l’esprit et vous entraîne dans la relativité, à tous points de vue. Vos propres valeurs deviennent plus complexes, ainsi que le regard que vous portez sur le monde.

Et qu’est-ce que vous détestez ?

Il n’est jamais facile d’être exilé car il faut casser les valeurs absolues qui constituent le socle de notre être passé. Par ailleurs, quand on adopte un autre pays, on ne peut jamais se sentir en parfaite adéquation avec certains éléments de la nouvelle culture. Dans mon cas, je pense par exemple au fond de puritanisme qui caractérise une partie de l’Amérique. Mais, en règle générale, on doit adhérer aux principales valeurs de son pays d’adoption. Si ce n’est pas le cas, il vaut mieux s’en aller plutôt que de se sentir misérable dans les rapports quotidiens.

Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?

Les Américains ne vous disent pas les choses directement, brutalement. Ils vous envoient des signes. Cela peut être perçu comme hypocrite mais c’est un savoir-vivre qu’il faut apprendre. Quand on évalue le dossier d’un collègue, il faut savoir le faire en disant la vérité mais sans marques directes d’agressivité.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?

Je n’ai pas rencontré de difficulté particulière. Bien sûr, vous êtes toujours en compétition avec tout le monde et dans un lien de rivalité constante avec vos collègues, mais je le vois comme une stimulation. Cela explique en partie le dynamisme des milieux universitaires américains, autant que les budgets consacrés à la recherche. Les Américains n’ont pas de fausse pudeur en ce qui a trait à l’argent. Pour ma part, je préfère négocier avec mon doyen mon salaire plutôt qu’accepter passivement qu’on me propose un salaire, comme c’est le cas des fonctionnaires en France. Mais c’est aussi dans le quotidien que l’on se sent encore étranger. Pour ma part, je n’ai jamais réussi à me défaire de mon accent français.

Quel est le rôle d’un professeur aux Etats-Unis vis-à-vis de ses étudiants ?

En dehors de la transmission d’un savoir objectif, le prof doit jouer un rôle de conseiller. Il encourage les étudiants ; il doit leur faire passer le message : “Tu es capable, tu peux le faire”. C’est une grosse différence entre les Etats-Unis et la France. En France, quand vous cherchez à faire quelque chose, on vous dit “n’y vas pas”, “c’est pas pour toi”. On bloque les initiatives, c’est un désastre pour le pays et la France se crée ainsi un retard considérable en ne faisant pas confiance aux jeunes. Aux Etats-Unis, on développe le pragmatisme, la capacité d’un jeune de devenir rapidement un adulte quand il est confronté à des problèmes concrets. On passe ainsi beaucoup de temps à recevoir les étudiants, chaque semaine, à déjeuner avec eux en les questionnant pour les stimuler. C’est aussi important que les cours que l’on donne.

Vous avez 65 ans, est-on à la retraite à cet âge ?

J’avais décidé d’arrêter le principal de mon travail dans 5 ans mais avec ce qui se passe*, je risque d’en prendre pour 10 ans ! Il n’y a pas de date limite à l’université tant que vous êtes efficace et populaire. Si l’on vous envoie des signaux qui vous laissent penser le contraire, alors vous vous dites qu’il est temps de partir…

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui souhaitent vivre aux Etats-Unis ?

De venir en voyage ici ou pour un échange, afin d’avoir une première connaissance du pays. Je leur conseillerais également d’être internationaux, de ne pas s’enfermer dans les frontières d’un seul pays ou d’un seul système de valeurs, si bon soit-il. Les défis intellectuels, économiques, sociaux sont aujourd’hui tous internationaux. On n’a qu’une vie, et la vie ne vous donne que ce que vous savez lui prendre. Vivre d’une façon diminuée, en dessous de ses possibilités, c’est dommage !