portrait de canniere didier

Nous sommes partis à la rencontre de Didier De Canniere, expatrié aux USA. Il nous racontre son parcours en tant que chirurgien et professeur aux Etats-Unis. 

Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis ?

Je suis chirurgien cardiaque depuis 20 ans, j’étais chef de Service, nommé à vie, du service de Chirurgie cardiaque de l’Université de Bruxelles, j’y étais aussi Professeur et chargé de cours ainsi que Professeur visiteur à l’Université de Paris et à l’Université d’Ohio. Après cinq ans dans cette fonction, mon groupe et moi-même avions atteint une grande partie des objectifs que nous avions fixés ensemble : moderniser le service, développer des nouvelles technologies et des partenariats industriels, augmenter l’activité clinique, développer un centre de chirurgie cardiaque en Afrique Subsaharienne etc. Plusieurs propositions de travailler dans des Universités Américaines se sont présentées à moi. Il m’a semblé que j’avais bouclé un cycle et que j’étais guetté par la routine. J’ai eu envie de relever de nouveaux défis : celui d’un « fresh start » aux US.

Avez-vous eu le mal du pays durant votre parcours?

Je ne suis ici que depuis deux ans, c’est peu pour parler de parcours. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le choc que représente l’émigration, qui est différent pour chacun : les diplomates, hommes ou femmes d’affaires, ont cela dans le sang, c’est un mode de vie. Pour d’autres, qui comme moi ont passé leur vie dans la même ville, l’explantation est peut-être plus traumatique. Il faut redéfinir ses repères, depuis la reconstruction d’un réseau et d’une vie sociale, jusqu’à celui de trouver une épicerie qui vend des produits français (cela m’a pris un an). Sur le plan professionnel, c’est là que le choc a été le moins grand : opérer un humain américain, chinois, africain ou français, c’est opérer un humain : on a tous le même cœur. Bien sûr, il a fallu rencontrer les équipes, communiquer, s’intégrer, expliquer… Mais les manières de travailler sont sensiblement pareilles. Néanmoins, (disons-le sur la pointe de la langue pour n’offenser personne) je trouve le système médical français ou belge beaucoup moins pollué par des considérations financières et légales omniprésentes et donc plus adaptatif.

Comment devient-on chirurgien cardiaque à l’Université de Miami?

Je pense qu’on peut rentrer dans le système médical américain essentiellement de deux manières : par le bas ou bien par le haut, et donc à différents moments de son parcours médical. Idéalement, et j’incite tous les jeunes médecins à le faire, il faut présenter les examens d’entrée et ou d’équivalence d’études pour pouvoir pratiquer la médecine (USMLE, ECFMG etc..). La réussite de ces examens est beaucoup plus facile lorsque les connaissances acquises en études de médecine sont encore fraîches, plutôt que 20 ans après où revoir des matières comme la biochimie ou la neuroanatomie est une autre paire de manches. On peut alors postuler pour une spécialisation et passer les examens du board après un nombre variable d’années « d’internat » selon la spécialité choisie. Cette démarche, peut être entreprise n’importe quand dans la carrière médicale. Evidemment mon cas a été un peu différent, je n’ai pas souhaité recommencer mes études à zéro et dès lors que UM est venu me chercher, ils se sont occupés des aspects administratifs me permettant d’exercer en tant que chirurgien, au titre de Professeur, sans repasser par la case départ. Il s’agit alors d’appliquer le « 5th pathway », valable lorsqu’on a le titre de Professeur et de Chef de Service en Europe et qu’on est, susceptible d’apporter un savoir-faire particulier aux US.

Quel est votre rôle en tant que directeur de l’institut d’Innovation chirurgicale et du centre de chirurgie cardiothoracique moins invasive et robotique à l’Université de Miami ?

Il s’agit de deux entités différentes. Celui de directeur de la chirurgie cardio thoracique moins invasive et robotique, consiste à implémenter des techniques et l’usage de technologies qui étaient bien plus avancées dans la routine clinique à Bruxelles qu’elles ne le sont aux USA. Essentiellement la chirurgie moins invasive, qui inclut la chirurgie robotique, consiste à réaliser certaines interventions cardio-chirurgicales par des incisons minimes voire dans certains cas de chirurgie robotique, à thorax fermé (comme la laparoscopie le fait en chirurgie digestive, urologique ou gynécologique depuis des années).
Avec une expérience accumulée en Europe et en Asie de plusieurs milliers de cas (plusieurs centaines pour ma part), il est grand temps de développer ces opérations aux USA.
Pour moi le prochain moteur du système économique sera : les soins de santé, car si vous demandez aux gens ce qui leur importe, 50 % répondent la santé. Seulement, le coût direct de la maladie cardiaque aux US est de l’ordre de $ 200 milliards. Réduire les complications et les coûts constituent les challenges des chirurgiens d’aujourd’hui et demain. Il y a donc un continuum dans mon domaine entre la chirurgie moins invasive et l’innovation.
En pratique, chaque progrès, chaque idée des actionnaires de la chaîne de production d’UM: médicale mais aussi technique, administrative etc, doit être filtrée discutée et si possible transformée en plus de recherche, plus d’emplois, plus de moyens (dans le respect de la propriété intellectuelle). J’ai déposé récemment trois brevets, mais évidemment un institut d’innovation c’est le fait d’un groupe et je souhaite que cela soit une structure « virale » et à terme : la marque de fabrique de notre Université.

Quelles différences y a t-il entre les universités françaises et américaines ?

Je me garderais de généraliser, bien entendu. Mon expérience personnelle n’étant limitée qu’à quelques institutions. Mais en ce qui concerne la médecine, la formation théorique française me semble plus solide. Les Américains, comme sur le modèle de Harvard, fonctionnent énormément sur des études de casuistique. Il est possible que ce modèle convienne particulièrement bien à des formations de droit ou de business. Mais moins bien aux études de médecine. Le mode de raisonnement et la manière d’aborder les problèmes, comme une « check list » fonctionne dans la majorité des cas, mais pas tous. Les structures différentes de nos langues nous amènent à réfléchir différemment et à fonctionner différemment. Les français (un mot = un concept) sont créatifs, les américains, pragmatiques, fonctionnent en « lumps » et « helicopter view » (un mot = plusieurs significations selon le contexte où il est utilisé). La combinaison des approches, des forces et des faiblesses des deux systèmes, nous enrichit, c’est une des raisons pour lesquelles j’inciterais les jeunes médecins français à passer du temps aux USA à la fin de leur cursus, pour découvrir un système, une organisation, mais certainement plus encore.
Par ailleurs, un avantage des Etats-Unis en terme de formation médicale est le « case load », certains grands centres desservent des zones géographiques immenses et des populations qui le sont aussi, donc un grand nombre de cas pour les jeunes médecins. A Paris ou à Bruxelles il y a un hôpital tous les deux kilomètres et donc une grande dilution du nombre de cas qui conduit parfois à une moindre exposition des internes aux pathologies. Inutile de vous dire que le nombre de polytraumatisés et de blessés par balles aux urgences de Jackson à Miami est légèrement différent de celui des urgences de Erasme à Bruxelles.

Comment avez-vous pu obtenir le bon visa pour travailler aux Etats-Unis ?

Justement, je ne suis pas sûr d’avoir obtenu le « bon visa ». Je bénéficie actuellement d’un visa H1B qui me permet de travailler et qui relève de l’apport de compétences particulières aux US. A vrai dire j’ai eu la grande facilité de ne devoir m’occuper de rien puisque toutes les démarches administratives furent faites par l’Université. Ce n’est que récemment que j’ai consulté un avocat pour me documenter sur la question ; celle-ci m’a dit que je rassemblais les critères pour demander directement une carte verte, en trois mois avec le soutien de l’Université. Il semble, encore une fois d’après mon avocate, qui a vécu des cas similaires, que l’Université n’est pas pressée de faire obtenir une carte verte à ses travailleurs expatriés, puisque dans le cadre d’un visa plus fragile, comme le H1B, conditionné à l’employeur, le travailleur ne peut pas les quitter, ce qui constitue pour eux une garantie d’un retour sur investissement. Je conseille donc à mes compatriotes franco-belges ou autre lecteur francophone désireux d’immigrer, d’explorer toutes les options légales et de passer un peu de temps à essayer par soi-même d’en comprendre les subtilités.

Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?

La dimension de l’espace, des marchés mais aussi des projets, des rêves, l’importance de la parole donnée et aussi la méritocratie. Le rêve américain existe bien: « I had a dream » « what can be dreamed can be achieved » « the biggest risk is not taking one » et ces rêves ne concernent pas uniquement la réussite sociale ou financière. En ce qui me concerne ce n’est aucunement une priorité. Il faut mentionner aussi l’importance du sens civique, de l’engagement et de la volonté de rendre à la communauté. Je m’étonne que Bill Gates ne soit pas nominé pour le Nobel de la Paix. Quel exemple que celui d’un génie qui parti d’un garage, change la face du monde et puis rend des dizaines de milliards de dollars à une des communautés les plus vulnérables de la planète pour s’attaquer à un des plus grands fléaux qui soit. C’est ça aussi l’Amérique. J’ai aidé un peu à Haïti le lendemain du tremblement de terre, jour de mon arrivée ici. J’y ai mesuré l’incroyable efficacité et solidarité déployée par les Américains. Ca m’a fait du bien de recevoir cette image de l’Amérique dès le premier jour.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?

C’est aussi une société dure, compétitive, rien n’est acquis. Or pour moi l’esprit d’équipe est extrêmement important. Dans un métier confronté au stress quotidien, à la mort souvent, l’équipe est comme une famille qui absorbe et tamponne la pression. Ici ce n’est pas vraiment le cas. La cellule, dans le meilleur des cas, c’est la famille, point barre. Et encore il me semble que Miami, si cosmopolite, est une certaine exception. En tout cas il ne faut pas se faire d’illusions; on ne vous attend pas avec le tapis rouge.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?

Téléphonez-moi. 😉
Plus sérieusement; on le dit souvent : il faut trouver un bon avocat et un bon comptable quand on s’installe aux USA. Personnellement, je n’irais pas jusque là, mais il ne faut pas sous-estimer les immenses différences du système américain par rapport au nôtre. La nécessité absolue est de se protéger par des assurances de soins de santé comme chacun sait, sous peine de se retrouver confronté à des frais insupportables en cas de problèmes. Il faut egalement garder en mémoire que contrairement à la France énormément de coûts sont cachés ; les salaires présentés sont bruts et c’est vrai pour tout (il faut donc penser à ajouter les coûts des taxes). Un autre élément très méconnu, je crois du public français, est le « credit score » ; il faut résister à cette immense pression du système qui peut vous griser et vous pousser à acheter à crédit jusqu’à l’impossibilité de rembourser. Ce risque, me direz-vous existe en France aussi, mais ici franchir la ligne rouge détruit votre score de crédit et plus jamais, même une fois les éventuelles dettes remboursées, vous ne pourrez emprunter à une banque sauf à des taux démentiels de l’ordre de 20% annuels. Mon modeste conseil serait donc en un mot d’avancer prudemment et de manière encadrée.

Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?

L’individualisme, le respect des lois, le respect de la parole. En effet ici votre parole vous engage, on ne badine pas avec ça : tout ce que vous avez dit et qui se révèle un mensonge peut être retenu contre vous. Cela fait, je pense, une grande différence avec la France ou la Belgique où les gens se sentent beaucoup moins liés par leurs engagements verbaux. Cela change beaucoup la vie dans le management des ressources humaines et l’efficacité globale du système. De même on ne badine pas avec la transgression des règles en Amérique si on a plus de 0,5 mg d’alcool dans le sang, on va en prison. On ne paie pas son loyer on est dehors. Parler d’individualisme cela peut paraître contradictoire avec ce classique engagement dans la communauté que j’ai mentionné plus haut. Il s’agit d’autre chose. Quand on tombe, il n’y a pas l’état pour vous ramasser, et le plus souvent personne. Il faut se relever seul. Ou non. Chacun son problème. Mais les possibilités de se relever seul sont plus grandes me semble-t-il et on ne vous tiendra pas gré de la chute, vous serez crédité d’avoir essayé.

Quelle est la qualité que vous préférez chez les Américains ?

Ils sont courageux et autonomes. Moins assistés que les Européens. Moins revendicateurs.
« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie. Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties. Sans un geste et sans un soupir … tu seras un homme mon fils… ». Cette première strophe du poème de Kipling leur convient bien. On voit ici des vieillards faire des petits boulots parce qu’ils ont perdu leurs pensions à la bourse. C’est terrible, bien sûr personne ne peut défendre un tel système social et certainement pas moi. Mais ils ne se plaignent pas. Sont-ils plus heureux ou malheureux pour autant ?

Et qu’est-ce que vous n’appréciez-pas chez les Américains?

On ne peut pas mettre 300 millions de personnes dans un moule et rejeter en bloc une caractéristique qui leur serait commune, mais je suis bien sûr inquiet des dérives sectaires, religieuses intégristes ou politiques qui fleurissent en temps de crise ici comme ailleurs. Globalement beaucoup sont très peu éduqués et embrassent facilement des stéréotypes extrêmes. Mais au-dessus de cela, les Américains ont une très haute opinion de la citoyenneté : respect des lois, respect de la démocratie. Il faut compter là-dessus.

Pensez-vous revenir vivre en France ?

Je ne serais pas contre quelques hectares dans le Sud 😉
Mais pour les vacances et le pinard, bien sûr.