micro gif portrait

Khai Minh Pham est né au Vietnam en 1961. A 7 ans, il quitte son pays d’origine avec sa mère et ses autres frères et sœurs pour venir s’installer en France. Après ses études de médecine et d’informatique, il crée son entreprise pour réaliser et commercialiser un logiciel d’intelligence artificielle. Pour la développer, il part aux Etats-Unis où il vit depuis 1995. Il a vendu sa première société 400 millions de $ (avec d’autres actionnaires néanmoins…) et s’est lancé dans une nouvelle création d’entreprise. Nous l’avons rencontré pour comprendre sa démarche et ce que lui ont apporté les Etats-Unis.

Dans quelle mesure les expériences que vous avez vécu très jeune en partant du Vietnam vous ont aidé dans votre parcours ?

Je tire le chapeau à ma mère partie avec ses 4 enfants. Nous sommes arrivés en France au mois d’août, on était en manteaux et on avait froid…Depuis, il n’y a rien qui soit une vérité absolue pour moi.
J’ai eu la chance de traverser la culture asiatique, européenne et américaine, ce qui est très formateur.
Arrivé en France, ça a été très dur.

Vous avez fait à la fois des études de médecine et d’informatique, ce n’est pas courant, pourquoi avez-vous choisi cela?

Pour la plupart des mères asiatiques, le métier de rêve c’est d’être médecin ou général. J’ai choisi médecine. En 2ème année de médecine, j’ai découvert l’informatique et je me suis lancé dans des études en parallèle. J’étais un fou furieux du travail avec en plus un travail au CNRS et dans une autre société.

Qu’est-ce qui vous a mené à l’intelligence artificielle ?

Ma formation de médecin me donnait une vision différente de celle des informaticiens. En général pour eux, si vous avez A et B, alors vous avez C. Pour moi, je leur disais que ce n’était pas toujours le cas. On me disait que je ne maîtrisais pas mon domaine. Or la notion de contexte est très importante. J’ai alors conçu une technologie en 1987 tenant compte du contexte et permettant de faire de la prise de décisions et de l’apprentissage de connaissances. A l’époque, il y avait 2 écoles : celle de la logique et celle de la simulation, reproduisant artificiellement les réseaux de neurones. La technologie que j’ai faite est l’unification des deux.

Comment avez-vous démarré ?

J’étais étudiant, on ne prenait pas au sérieux lorsque je parlais de cette unification. J’ai alors écrit un article dans IEEE, ce qui m’a permis d’avoir des bourses pour continuer la recherche. Une fois que vous avez la bourse, vous payez des impôts, le labo en prend une partie pour son fonctionnement et il ne vous reste plus grand chose pour vous équiper. Je savais que j’avais la meilleure technologie. J’ai décidé de créer une boîte pour prouver que j’avais la meilleure technologie même si je n’avais pas 40 ans et de bedaine ! J’en avais 29.

Vous aviez très tôt le projet de venir aux USA ?

On a réfléchi avec un groupe de copains pour s’installer aux Etats-Unis, j’avais choisi San Diego où la mer est chaude…C’était très naïf, mais c’est ce qui permet parfois de faire de grands projets. Avant de partir, un copain m’a dit d’aller au salon Entreprendre. J’ai rencontré des gens de la chambre de commerce qui m’ont convaincu de commencer d’abord en France puis de partir aux Etats-Unis.

Vous avez donc créé votre société en France ?

Un patron que j’ai rencontré par la chambre de commerce m’a prêté un bureau et j’ai créé ma société en 1991 à Cergy. J’ai convaincu la Banque Populaire d’investir 400.000FF dans ma société et ils m’ont ouvert une ligne de crédit de 250.000FF. Ils ont fait confiance sur le bonhomme.

Comment votre société s’est développée?

En France, on regarde la taille de votre boîte surtout en technologie. Les gens ne prennent pas de risques. L’échec est considéré comme une faute et non comme une initiative et une preuve de courage. Mon premier client a été Aérospatiale. Ensuite, j’ai eu des clients comme Schneider, Air Liquide, la Malterie Franco-Belge. Cela a été très dur de percer. Quand vous y arrivez, vous êtes solide. Cela a pris un an. Une fois que vous êtes rentrés dans des grosses boîtes comme cela, vous vous heurtez à la politique d’achats où l’on vous paye à 180 jours. En France, on essaye de presser le citron sur le dos des fournisseurs, c’est une mauvaise politique. Aux US, on essaye de faire du business qui soit « fair » pour que votre fournisseur se développe sur le long terme.

Pourquoi avez-vous décidé finalement de partir aux Etats-Unis ?

Je me suis dit qu’avec toutes ces difficultés, cela serait très dur de développer ma société en France. En 1995, j’ai levé des fonds auprès d’un investisseur franco-américain pour 1,5 million de $ et je suis parti m’installer aux US avec femme, enfants et chat. On ne savait pas ce qui nous attendait. Dans la vie, soit vous avancez avec votre maison sur le dos, soit avec votre sac. Plus vous avez confiance en vous, plus vous trouverez de solutions le long de votre chemin faisant.

Comment s’est passé le début de votre entreprise aux US ?

Quatre personnes de la société sont venues, certains voulaient me convaincre de rentrer au bout de 3 mois. Et puis, par persévérance, la boîte a bien marché. Elle a été rachetée en 1999 pour 400 millions de $, ce qui me permet aujourd’hui de financer ma 2ème société Easyplanet créé en 1998.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui s’installent aux Etats-Unis ?

C’est très important de venir aux US avec le moins de bagages possibles. Si vous venez en comparant avec la France, vous aurez du mal.

Qu’est-ce que vous appréciez aux Etats-Unis ?

C’est un pays où tout est possible. C’est un confort d’esprit fantastique. C’est l’espace : la nature est partout. Les gens sont très agréables dans la vie de tous les jours. Quand je reviens à Paris, je me sens agressé par le stress ambiant.

Qu’est-ce que vous aimez moins ?

Pour vous faire des amis, c’est très difficile.

Si vous deviez comparer les mentalités en France et aux Etats-Unis?

En France, on passe notre temps à critiquer et à profiter du système. Les gens crachent dans la soupe. Aux US, on regarde la progression, les côtés positifs. En France,les gens n’ont pas l’habitude de voir grand. D’abord, on y croit pas, c’est complètement débile. Les gens vous descendent et disent que vous êtes prétentieux. Si vous dîtes que vous n’y arrivez pas, les gens vont alors avoir de la compassion.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?

Au tout début : la langue. Quand vous êtes en business, il faut expliquer, convaincre, recomprendre les arguments. A la fin de la journée, vous avez une tête ! Vous devez comprendre comment fonctionne la culture. Les gens ici sont très carrés. Vous devez être pareil. Ne pas faire de meeting qui dure 2 heures. Les 5 premières minutes de votre réunion sont capitales. Il y a tellement de pub à la télévision américaine, que les gens sont habitués à zapper !

Qu’est ce qui vous manque aux Etats-Unis ?

Ce sont les amis, les fêtes qui finissent à 4h00 du matin. Ici, vous êtes invité à un barbecue entre 12h00 et 13h30. Le dimanche, les Américains nous invitent pour le barbecue à 5h de l’après midi. Les fêtes le soir ça s’arrête à 22h30. On est en constant décalage par rapport à leur rythme de vie. Ils n’ont pas la notion de la qualité de vie. Les maisons sont sonores, les machines à laver sont énormes. Il n’y a pas non plus vraiment de notion d’esthétique.

Comment voyez-vous les Américains et le monde qui les entoure ?

Le problème des Etats-Unis, c’est que l’Américain est extrêmement civique dans sa façon d’être. Ils ont envie que le monde soit meilleur mais ils ont tendance à penser que l’American way est la meilleure façon de vivre. Maintenant imaginons que les Français soient dans le même cas (même territoire, puissance…)…

En fait, les différences viennent de la place de l’individu et du temps dans chaque culture. En Asie, l’individu n’a aucune importance et on regarde le long terme. En Europe, l’individu est moyennement important et on s’attache au moyen terme. Aux Etats-Unis, c’est l’individu et le court terme qui priment.

Quelle est votre devise ?

“Une tête, deux bras et deux jambes, c’est comme la plupart de ceux qui ont réalisé leur projet”.