Rencontre Pascal Baudry usa

Pascal Baudry, marié à une Américaine, persuadé de l’échec du modèle français, est parti aux Etats-Unis pour Renault puis a ensuite créé sa propre structure de conseil en management. Nous l’avons interviewé pour comprendre son parcours et ses impressions sur les States.

Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis?

Vers la fin des années 70, j’ai pensé que le modèle français était voué à l’échec. L’occasion concrète s’est présentée lorsque mon épouse (américaine) a souhaité rentrer aux USA.

Quel a été votre parcours là-bas?

A côté de mon cabinet de psychanalyse, j’avais en France une petite activité de formation continue. Pour partir aux Etats-Unis dans de bonnes conditions, j’ai contacté l’un de mes clients, Renault, et nous sommes convenus que j’en dirigerais la Formation des Ingénieurs et Cadres pendant deux ou trois ans puis qu’ils m’enverraient dans la filiale American Motors, à Detroit. Là, j’ai grimpé très vite, dans un pays où il n’est pas absolument nécessaire d’être “intelligent”, mais où le travail est récompensé : d’abord responsable de la formation, puis chargé de la planification stratégique des ressources humaines ; puis le Chairman m’a confié d’abord la fonction RH, puis aussi les Finances, l’Informatique, les Achats et le Juridique d’une grosse usine d’assemblage automobile (un projet de 600 millions de dollars) ; je m’en suis occupé depuis la construction jusqu’au début de la grande série, quand Renault a vendu AMC à Chrysler (fin 1987). Je suis alors allé m’établir à San Francisco, où j’ai monté ma société actuelle, WDHB Consulting Group, par laquelle j’ai organisé, depuis 1988, plus de 230 “Learning Expeditions” pour 4 500 cadres dirigeants venant de 15 pays européens, qui ont visité 2 500 entreprises américaines et canadiennes (et maintenant, chinoises aussi). Nos clients viennent principalement réfléchir à une problématique de management (stimuler l’innovation, améliorer la qualité de service, mieux manager, etc…) ou une problématique stratégique (sommes nous dans le bon métier, comment sommes nous impactés par les nouvelles technologies, etc…). Ils rencontrent des dirigeants d’entreprises ayant rencontré des problèmes similaires, puis utilisent les fruits de ces rencontres pour stimuler leurs capacités créatives propres.

Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US?

Que les cultures française et américaine sont beaucoup plus différentes qu’on ne le croit à prime abord. J’en ai tiré un cyberlivre, “L’autre rive : Comprendre les Américains pour comprendre les Français”, en accès gratuit sur le site www.pbaudry.com.

Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?

Le fait que, contrairement à la culture française, c’est une culture où tout pousse à être responsable de ses actions et à en assumer complètement les conséquences, positives ou négatives. C’est le contraire d’une culture d’assistés.

Qu’avez-vous le mieux réussi aux Etats-Unis?

Ma prise de recul par rapport aux deux cultures. J’aurais pu dire mon intégration, mais c’est facile pour les étrangers si on joue le jeu.

L’intégration aux US, c’est donc facile?

Oui, à deux conditions : garder toute sa curiosité en éveil, et suivre les règles. On y perd dix points de QI par an, mais c’est très reposant – plus sérieusement, on peut surtout mettre son énergie durablement sur la tâche, ce qui est difficile pour les Français. Il n’y a de problème d’intégration aux Etats-Unis que si l’on pense que l’on sait déjà (à la française), où si l’on refuse de suivre les règles (à la française…). Le reste ressort de la difficulté ordinaire de vivre.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis?

Passer, au début, d’une culture implicite et d’inspiration féodale (culture qui refuse le contrat, même si la France se prétend un pays de droit), à une culture explicite et contractuelle.

Concrètement, comment avez-vous ressenti et combattu ces difficultés ?

Au plan professionnel, j’ai fait un effort conscient pour fonctionner “à l’américaine”; j’ai travaillé très dur, résolu de n’être en aucun cas moins bon que les locaux, même si je n’étais pas tombé dans la marmite américaine étant petit. Au plan personnel, j’ai beaucoup appris de l’observation de ma famille et… de moi-même.

Si vous aviez mieux connu les Etats-Unis avant de partir, auriez vous fait les choses différemment?

J’aurais émigré plus tôt.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent?

Etre en observation de la chose culturelle, en ayant le courage d’y être vulnérable. En couple interculturel, beaucoup métacommuniquer (ce qui est généralement difficile pour les Français).

Qu’entendez-vous par métacommuniquer?

Communiquer sur la communication. Les Français le font très peu, préférant passer en force, dans l’implicite et le flou. Plus on fait l’effort d’être explicite, plus on prend responsabilité sur ce que l’on fait, en en assumant les conséquences positives et négatives. Les Français ont tellement été critiqués dans leur enfance qu’ils préfèrent généralement ne pas être “accountable” (comptables de leurs actions).

Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains?

Le plus simple est de consulter, avec comparaison point par point avec les Français, mon cyberlivre en cinquante mille mots…(cyberlivre en accès libre sur le site http://www.pbaudry.com).

Quelle est la qualité que vous préférez chez les Américains?

La franchise. Le fait qu’on est jugé sur ses actes et non sur qui on est (ou n’est pas).

Et qu’est-ce que vous détestez?

Le manque de profondeur et de “culture” (au sens français du terme). Le manque de respect, à l’international, des règles qu’ils s’imposent en interne.

Comment voyez-vous les Etats-Unis dans 50 ans?

Mal. Je pense que la Chine sera alors la grande super-puissance, et j’espère qu’elle n’aura pas été en conflit majeur avec les Etats-Unis. Je crains que les gros problèmes éducatifs et d’intégration sociale d’aujourd’hui ne soient fatals pour l’Amérique, à long terme.

Quelle est votre ville américaine préférée? Pourquoi?

San Francisco, pour sa beauté et le sentiment qui règne dans cette région que tout est possible. Je placerais Boston en second, pour son histoire et le niveau éducatif général en Nouvelle Angleterre.

Quel est votre plat américain préféré?

Le sushi…

Quel est votre loisir préféré?

Le jeu d’échecs. J’ai reçu le titre de Maître de la fédération américaine.

Quelle est votre devise?

“Where there is a will, there is a way.”

Quel est votre plus grand regret?

Que Renault ait vendu AMC trop tôt. J’aurais aimé y faire deux ans de plus. Mais c’est du passé.

Quelle est votre plus grande fierté?

D’avoir été capable de revisiter, de l’extérieur, ma culture d’origine, et d’y voir ce qu’on ne perçoit pas de l’intérieur, quand on prend son contexte d’origine pour évident et comme allant de soi.

Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US?

La culture du win-win. La persistance, l’optimisme, le professionnalisme.

Comment voyez-vous la France évoluer?

Je réfléchis en ce moment sur le sujet. Sous l’influence américaine, notamment par l’entremise de l’Europe, la France est en train d’évoluer vers une culture plus explicite, individuée, contractuelle, et centrée sur la tâche et la performance; ces évolutions sont très perceptibles dans le monde de l’entreprise, et correspondent aussi à des traits de caractère perceptibles chez les moins de 25 ans (et aussi quelque peu chez la génération précédente). Cependant, il est fort possible que la grande masse des Français vivent avec difficulté l’effort d’individuation et de moindre dépendance qui leur est demandé; j’ai déjà mentionné (avant les élections) le risque que ça pête.