portrait Catherine Selden

Catherine Selden est psychologue aux Etats-Unis. Après avoir été psychologue médico-légal, elle s’oriente de plus en plus vers la télé-réalité pour y exercer son métier. Elle nous éclaire sur les caractéristiques des Américains et de la société américaine, selon elle, profondément religieuse.

Quel a été votre premier contact avec les Etats-Unis ?

J’avais fait un master of business administration à San Francisco dans le cadre de mes études à l’Institut Supérieur de Gestion. Je n’avais pas aimé et je m’étais dit que je ne souhaitais pas y retourner.

Finalement, comment êtes-vous revenue dans ce pays ?

J’ai rencontré mon mari à Paris où je travaillais. Après une histoire bi-continentale, mon mari est américain, je suis venue ici. J’avais 27 ans. L’adaptation a été très difficile.

Quel a été votre parcours à partir de là ?

Une fois que je suis arrivée, j’ai recommencé des études en psychologie. J’ai obtenu mon doctorat et une spécialisation en psychologie médico-légal.

Un doctorat est-il indispensable aux Etats-Unis pour devenir psychologue ?

La formation de psychologue est plus poussée aux Etats-Unis qu’en France. C’est 5 ans après la licence alors qu’en France, il faut juste une maîtrise. La loi américaine est en train de changer, Etat par Etat, pour permettre aux psychologues de prescrire des médicaments.

Vous êtes désormais spécialiste dans le domaine médico-légal et le profiling ?

J’ai en effet développé une expertise dans le profiling, je fais des évaluations de criminels pour répondre à la question des juges : Peut-on relâcher cette personne ? Il y a 3-4 ans, je passais 100% de mon temps en hôpital médico-légal (forensic hospital). Depuis l’avènement de la télé-réalité, les producteurs de Big Brother, l’équivalent du Loft, ont fait appel à moi pour donner des recommandations. Depuis, je travaille énormément pour faire le casting des participants de nombreuses émissions de télé-realité.

Quel est votre rôle en tant que psychologue sur ces émissions de télé-réalité ?

J’aide à choisir les gens qui ne vont pas être dangereux ou ceux qui ne vont pas s’effondrer. Je prédis quel va être leur comportement durant l’émission. J’administre des tests psychologiques et des interviews cliniques. Je me concentre sur l’histoire de la personne de la naissance à maintenant. Je suis aujourd’hui la psychologue de “Bachelor”, “Cupid”, “Extreme Makeover”, “Bachelorette”, “Average Joe” et de nombreuses autres émissions.

Comment expliquez-vous que le fait d’être française ne vous ait pas désavantagé pour votre profession ?

Le fait d’avoir commencé dans la psychologie médico-légal a été une bonne introduction à ma profession car les nuances culturelles ne sont pas déterminantes pour faire la différence entre un individu psychotique et un individu « normal ».
Puis, j’ai eu tellement d’entretiens cliniques avec différents Américains de toutes régions que je les conais très bien (plus de 1000 entretiens pour la télé réalité). Peut-être, n’aurais-je pas une connaissance aussi profonde pour la France ?

Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux USA ?

Le peuple américain est un peuple très religieux et très croyant. Cela a été un choc pour moi. Dans les années 80, les Etats-Unis, c’était synonyme pour moi de liberté, de hippies mais pas de religion. Or ce pays a été fondé pour la religion, c’est le pilier de la société américaine. Même les gens qui posent leur candidature pour des reality-shows sont religieux !

Quelle est l’influence de ce côté religieux sur leur façon de penser ?

Ils ont un concept binaire du bon ou du mauvais. C’est une vision simpliste de la psychologie. Il n’y a pas le sens des nuances. Il existe une pression sociale pour être polis, pour être bien vus. On essaye d’être “un bon garçon”. Les gens sont très francs, ils font leur mea culpa : c’est bien. Il y a des gens qui ont bon cœur. En Europe, les gens ne sont pas poussés socialement à être bons. Si on est athé aux Etats-Unis, il vaut mieux ne pas le dire car on ne vous fait pas confiance, on se dit que cette personne n’a pas à répondre à des exigences morales. En Europe, ces exigences existent mais d’un point de vue humaniste et non religieux.

Comment cela se traduit-il dans les relations amoureuses ?

Il y a une absence de nuances. Dans le mariage, si on n’est pas fidèle, on divorce. On le dit à l’autre et soit on fait une thérapie, soit on divorce.

Comment expliquez-vous que dans une société où l’on veut avoir bon cœur, il existe de si grands criminels ?

C’est un système binaire. Si on n’est pas un “bon garçon”, on est un mauvais garçon. C’est une société violente avec une histoire cruelle. Leur mythologie nationale : c’est les westerns, nous c’est les contes de Perrault (aussi fort binaires d’ailleurs). Les méchants sont méchants et ils ne font pas partie de la société des gentils. Quand on est méchant, on n’a rien à perdre, on est exclu. Il existe beaucoup de gens exclus : les écoles publiques sont épouvantables, le racisme existe encore ainsi que la pauvreté.

Au-delà de l’aspect religieux, quelles sont les principales caractéristiques des Américains ?

Ce sont des gens très pragmatiques. Cela les rend très efficaces. En France, on théorise beaucoup, on philosophe ; ce qui est très rafraîchissant pour moi. Sur la guerre en Irak, les seuls débats intéressants que j’ai vus se sont déroulés en France. Les meilleurs arguments pour la guerre, même si j’étais contre, je les ai entendus sur TV5 ! Les Américains n’ont pas de sens critique. Ils passent tellement de temps à positiver.

L’argent est très présent dans la société américaine, qu’en pensez-vous ?

L’argent aux Etats-Unis est un objet qu’on dépense. Cela ne fait pas partie de l’identité. Il y a moins d’aspects affectifs associés à l’argent. Ce n’est pas mauvais, pas un tabou.

Quelle est la principale différence entres les sociétés américaine et française ?

La société américaine est explicite. On dit les choses, on les exprime. La nuance dérange. On doit pouvoir tout ranger dans une catégorie sinon cela dérange. En France, on aime les non-dits. Il en découle de vrais problèmes de communication.

Si vous aviez mieux connu les Etats-Unis avant de partir, auriez-vous fait les choses différemment ?

Je ne regrette rien. Si j’étais restée en France, je n’aurais pas réussi comme cela. Le grand avantage ici : si quelqu’un est intelligent et travailleur, il est plus facile de réussir. On peut se faire tout seul. En France, c’est une société de castes.

Pouvez-vous nous donner un exemple de ce système de “castes” ?

Quand vous allez à un concert en France, si vous faites partie du milieu du show business, vous aurez des billets gratuits avec une entrée privilégiée qui vous est réservée. C’est une manière de communiquer qu’on fait partie de la même caste. Ici les gens les plus célèbres ne penseraient jamais à ne pas payer leur billet. Les “castes” y sont beaucoup plus poreuses.

Que pensez-vous des Etats-Unis dans 50 ans ?

Cela me fait peur. J’ai peur que Bush soit réélu. Il fait ressortir les défauts du pays car il a une façon de penser binaire. Il dit des choses simples, attractives et faciles à comprendre. Clinton faisait complètement différemment. Tout était sujet à débat dans la nuance pendant de longues heures. C’est un pays à la recherche de son identité, un peu comme un adolescent qui croit tout savoir, a beaucoup d’énergie et est créatif. Ce pays a tout le potentiel mais il est encore malléable. Il y a absence de débat d’idées. Cela s’est révélé dans la presse au sujet de l’Irak. Si on n’aime pas, on est contre les Américains. C’est une mentalité effrayante. Ce qui m’inquiète, c’est que leur esprit se referme. Les Américains ont une vision à court terme. Les gens ne sont pas curieux. Alexis de Tocqueville a dit : le vrai danger pour les Etats-Unis, ce n’est pas la dictature et le fascisme, c’est qu’ils vont être des moutons, ils vont suivre.

Restez-vous néanmoins optimiste pour l’avenir des USA ?

J’ai confiance en son énergie créatrice. Ils n’ont pas le poids du passé. Quand on fait une erreur, on jette tout et on recommence. C’est un pays qui peut se refaire très vite.

Quelle est l’image des Français aujourd’hui aux US ?

La publicité contre la France et les Français est très dure actuellement. Je ne suis pas très optimiste pour que l’image de la France s’améliore. Car le terrain était déjà très favorable : il y a 20-30 ans, les Américains étaient très francophiles. Ils pensaient que les Français leur retourneraient cette affection. Or quand ils viennent en France, les Français n’ont pas le sourire jusqu’aux oreilles. Ils l’ont pris pour eux. Il existait aussi déjà des problèmes politiques entre les 2 pays avant l’Irak. L’Irak a été le déclencheur et a permis de dire ce qu’on pensait tout bas.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?

Dans le climat actuel, il faut qu’ils soient confortables avec leur nationalité. Il faut comprendre sa propre culture avant. Il faut pouvoir la voir de l’extérieur, c’est comme demander à un poisson de voir l’eau…
Parfois je ne dis pas que je suis française avec des nouveaux producteurs, c’est triste mais c’est la réalité.

Si vous rentriez en France, qu’est-ce que vous regretteriez ?

La France est un pays de communication implicite. Cela a ses bons côtés mais aussi ses mauvais. Il faut décrypter les sous-entendus, c’est frustrant. Le côté direct des Américains me manquerait peut-être. En France, c’est difficile d’avoir un oui ou un non.