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Gérard Bonneau, Directeur de Recherche au CNRS, est devenu Responsable du Bureau du CNRS pour les Etats-Unis depuis octobre 2002. Docteur en physique nucléaire, Gérard Bonneau a fait de la recherche dans le domaine de la Physique des Particules Elémentaires. Il a notamment travaillé au SLAC, le Stanford Linear Accelerator Center, université de Stanford, au CERN et comme Porte-Parole Adjoint de la Collaboration « BABAR » qui réunit 9 pays dont la France, 75 institutions de recherche et universités, 450 physiciens et 150 étudiants. Il nous donne sa vision de la recherche américaine.

Pourquoi avez-vous souhaité prendre ces fonctions au CNRS aux Etats-Unis ?

Cela fait depuis 16 ans que je suis aux Etats-Unis. D’abord comme jeune chercheur entre 1980 et 1986 et puis sur l’expérience Babar entre 1993 et 2002 où j’ai passé 90% de mon temps à Stanford. Ce qui est passionnant dans mes fonctions, c’est que je m’occupe de tous les domaines du CNRS : l’informatique, la biologie, la physique..etc. C’est une façon de sortir de mon cocon.

Que représente le CNRS aux Etats-Unis ?

C’est comme si j’avais un labo ici. C’est beaucoup d’argent et des équipes. Ce sont des milliers d’échanges par an. Je m’occupe des équipes françaises qui travaillent aux Etats-Unis ou des équipes américaines qui souhaitent chercher en France. On critique le CNRS pour sa taille. Son budget s’élève à un quart de la recherche civile en France. Cela a des avantages. On peut parler d’égal à égal avec d’autres agences américaines comme la National Science Foundation.

Quel est selon vous la place de la recherche française ?

Il faut veiller à ce qu’on ne soit pas petit, être présent dans quelques domaines au lieu d’être peu présent partout. On est très fort par exemple dans les mathématiques, la physique et les sciences de la vie.

Comment voyez-vous l’évolution de la recherche américaine ?

L’Amérique est en train de comprendre que la R&D sera un enjeu majeur dans les années à venir : ils viennent de doubler les budgets de recherche des principales agences américaines. La National Institute for Health a 10 fois le budget du CNRS qui est pourtant la plus grosse agence en Europe. Les Américains vont doubler le budget de la National Science Foundation. L’administration Bush a de grandes ambitions et une volonté politique très forte. D’ici 4-5 ans, il y aura un gap terrible entre la recherche américaine et européenne. De plus ils attirent les meilleurs chercheurs du monde entier. Plus de 50% des chercheurs ici sont non-américains. C’est un véritable « brain drain ».

Que proposez-vous pour réagir à cette évolution ?

J’ai monté une réunion avec l’Inserm à Boston et San Francisco avec des post-doctorants. Ce qu’ils souhaitent : de meilleurs salaires et des budgets pour travailler. Il faut faire remonter ces informations pour agir sur les politiques et augmenter les budgets de recherche. Le célèbre « on n’a pas de pétrole mais on a des idées » ne sera bientôt plus vrai car on ne va plus avoir d’idées… Or on peut être les meilleurs, nos formations sont les meilleures et nos post-doctorants sont d’ailleurs extrêmement recherchés.

Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US ?

On vous donne les moyens pour y arriver. On peut beaucoup plus jeune prendre des responabilités, les idées et les actions vont plus vite, on prend plus de risques.

Comment voyez-vous les différences dans le travail entre l’Europe et les Etats-Unis ?

En Europe, on sait peut-être mieux travaillé : on va plus au fond des choses, il y a plus d’application, c’est mieux fini. Les Américains sont plus inventifs, ils ont plus d’idées. La complémentarité est intéressante.

Qu’appréciez-vous moins aux Etats-Unis ?

C’est loin de la France. J’ai besoin de la France, j’aime beaucoup la littérature française, la vie en France.

Quelle est votre impression sur Washington où vous vivez ?

C’est la capitale du gouvernement du pays le plus puissant du monde et en même temps c’est comme une petite ville de province. Vous avez Philadelphie ou New York, qui à l’échelle américaine, ne sont pas loin et il se passe plus de choses. C’est comme si on ne peut pas faire n’importe quoi à Washington. Il y a une morale, une retenue.

Comment voyez-vous l’Amérique dans 50 ans ?

50 ans, c’est loin. Plutôt dans 10-20 ans : L’Amérique est devenue une super puissance militaire et politique et on est en train de rentrer dans l’Amérique scientifique. A la fin des années 80, l’Amérique a plongé en termes de recherche. Depuis ils ont pris des risques comme dans les nanosciences, les sciences de la santé, de la vie. Ils y mettent beaucoup de moyens. Dans les 20 à 30 prochaines années, on fera des découvertes d’envergure dans la physique de l’univers. Ils font un pari sur l’intelligence. Ils se rendent compte aussi que leur formation scolaire est de mauvais niveau. Alors ils mettent en place des programmes de manière très pragmatique pour l’ensemble de l’enseignement des mathématiques.

Cet investissement massif dans la recherche n’est-il pas contradictoire avec leur objectif de rentabilité à très court terme ?

La science fondamentale génère de la recherche appliquée : il y a des brevets à la pelle. Cela va très vite. Il y a de moins en moins de différences entre la science fondamentale et la science appliquée. Ils ont compris que mettre de l’argent là pouvait rapporter beaucoup très vite.

Où voyez-vous les difficultés de la recherche européenne ?

On a une difficulté à nous restructurer par rapport à l’éclairage scientifique, à sélectionner les nouveaux thèmes de recherche.

Va t-on aussi en Europe s’orienter vers un financement privé de la recherche comme cela est plus fréquent aux Etats-Unis ?

Aujourd’hui 15% du financement du CNRS est d’origine privée. Les financements aux USA par les fondations sont possibles grâce aux déductions fiscales que l’Etat américain accorde. C’est en fait de l’argent que l’Etat aurait pu encaisser via les impôts. En France, ces déductions n’existent pas mais une étude montre que les 2 financements sont équivalents. Cependant il est vrai que le système des fondations est plus réactif.

Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?

Les Américains que je côtoie sont des universitaires, des chercheurs donc ce n’est pas représentatifs. Ils mettent l’excellence à un haut niveau. En tant que physicien, vous êtes recherché par des gens qui ne le sont pas. Vous pouvez être invité par des multi-millionaires. En France, les métiers d’intellectuels (instituteurs, chercheurs…etc.) ne sont plus reconnus. J’étais à Stanford : c’est une carte de visite. On voit beaucoup plus de scientifiques à la télévision. On fait appel à eux comme experts. Les universités ne ferment pas le soir et le week-end : elles sont vivantes. Il y a des matchs de football ou des spectacles sur le campus. Elles font partie de la vie, les bibliothèques sont ouvertes. Une des plus belles collections de Rodin se trouve dans les jardins de Stanford. Si vous allez voir Jussieu, ce n’est pas pareil…

Quels conseils donneriez-vous à des futurs expatriés ?

Aller passer 2-3 ans aux Etats-Unis. S’impliquer dans la vie américaine, envoyer ses enfants dans une école américaine, ne pas se protéger.