Portrait Dominique Tougne expatrié usa

Dominique Tougne, arrivé avec quelques dollars en poche et sans visa, est aujourd’hui associé au restaurant gastronomique Bistro 110 à Chicago. Un rêve américain réussi.

Quel a été votre parcours jusqu’à votre arrivée aux Etats-Unis ?

J’ai fait mes études au lycée hôtellier de Blois où j’ai obtenu un BTH. J’ai fait ensuite « mes classes » dans la région parisienne avec ma dernière place auprès de Joël Robuchon. En décembre 1995, j’ai décidé de partir aux USA.

Pourquoi avez-vous souhaité vivre aux Etats-Unis ?

J’en avais assez de la France. Je ne voulais pas être une personne qui se plaint, je voulais maîtriser mon évolution professionnelle et ne pas laisser décider quelqu’un d’autre. L’approche en France du business est différente. Tout est difficile : pour créer son entreprise, pour trouver des gens pour vous aider, vous faire confiance, des banques pour vous financer…etc.

Vous êtes aujourd’hui responsable du restaurant Bistro 110 à Chicago, comment en êtes-vous arrivé là ?

Quand je suis arrivé pour la première fois aux Etats-Unis, à New York, j’ai tapé aux portes. Je n’avais pas de papiers, pas d’argent, je ne parlais pas l’anglais et ne connaissais rien aux Etats-Unis, j’avais juste un bon CV…Des Français m’ont donné mon premier boulot pour ouvrir un restaurant à Atlanta pour les jeux en 1996. Ensuite, un chasseur de tête m’a recruté pour le Bistro 110 où j’ai commencé comme chef de cuisine. J’ai commencé en août 1996, je suis ensuite devenu Executive Chef puis Managing Partner donc associé.

Le fait d’être français vous a aidé ?

C’est un plus pour un restaurant qui fait de la cuisine française. J’ai été accueilli de façon exceptionnelle. On m’a aidé pour réussir. On m’a mis dans des conditions (par exemple rien que pour le salaire) qui m’ont facilité la vie, on m’a fait confiance, en investissant sur moi. Je suis aujourd’hui comme un poisson dans l’eau !

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre restaurant ?

Nous sommes ouverts 364 jours par an avec une moyenne de 750 couverts par jour. Parfois, cela va jusqu’à 1600 couverts. Avec 150 employés, je réalise un chiffre d’affaires de $7 millions par an avec 15 à 20% de bénéfices. Ceci est impossible en France où l’on vit sous un régime de terreur fiscale qui ne pousse pas à bosser. En France, on a un patrimoine gastronomique extraordinaire que l’on n’exploite pas.

Qu’est-ce qui vous a surpris à votre arrivée aux US ?

Tout !
C’est la démesure. La grandeur du pays. Rien n’est impossible. Quelqu’un qui veut bosser, y arrive.

Qu’appréciez-vous aux Etats-Unis ?

Le rêve américain existe encore et j’en suis un exemple. Parmi les chefs, il y a beaucoup d’autres exemples. Tout est fait pour faciliter la vie de ceux qui travaillent.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées aux Etats-Unis ?

Sans hésitation, la langue. Pendant 6 mois, j’ai eu la tête comme un melon ! Heureusement avec un métier manuel comme le mien, il est possible de montrer les choses par des gestes, des attitudes.

Quels conseils donneriez-vous aux Français qui s’installent ?

Je suis à titre bénévole conseiller pour le commerce extérieur et je donne souvent comme conseil pour des investisseurs d’observer, de comprendre, de travailler un an dans le domaine d’investissement avant d’investir rééllement. Il faut comprendre ce que les gens veulent, réadapter ce qu’on fait, leur donner ce qu’ils veulent. Ne pas venir avec la « French Attitude », rester modestes et se dire qu’on n’arrive pas en terrain conquis…

Pour les individuels depuis les changements de loi ces dernières années, ils ont verrouillé le pays pour les visas et c’est devenu très difficile de venir. Il y a la loterie pour la carte verte qui marche. C’est un coup à tenter. Questions visas, j’ai obtenu un visa O1 pour compétences particulières avec l’aide d’un avocat puis ensuite une carte verte et je vais prendre la nationalité américaine à la fin de l’année.

Quels sont, selon vous, les plus grands traits de caractère des Américains ?

Les Américains sont des gens assez complexes avec beaucoup de contradictions et une certaine hypocrisie. La façon avec laquelle ils ont géré le problème technique de la navette spatiale est typique. C’est une technologie extraordinaire et pourtant ils sont très anxieux de son retour sachant que les finitions ne sont pas parfaites. En France, on n’aurait pas eu cette crainte. On a des gens exceptionnels mais qui ne peuvent pas l’exprimer souvent pour des raisons économiques.

Comment voyez-vous les Etats-Unis dans 50 ans ?

Avec l’émergence de la Chine, les Etats-Unis n’auront plus leur position dominante. Il faudra qu’ils s’adaptent à un nouveau marché en acceptant de n’être plus les seuls au monde. Un exemple de cette mentalité : Ils font une compétition «mondiale» de base ball alors qu’ils sont les seuls à jouer ! Ce sera toujours un pays économiquement fort, rien ne peut les arrêter.

Quel est votre loisir préféré ?

J’aime faire de la moto, bouquiner et faire la cuisine pour ma famille et mes amis !

Quelle est votre plus grande fierté ?

Me dire que grâce à ce restaurant, j’ai 150 employés, donc 150 familles qui gagnent leur vie, qui peuvent payer une maison, des factures, leurs vêtements…etc.

Si vous deviez rentrer en France, qu’est-ce qui vous manquerait des US ?

Je ne me pose pas cette question dans l’état actuel des choses. Pour l’anecdote, quand je travaillais à Paris, j’avais une R5. En travaillant 15/16 heures par jour, je n’avais pas assez d’argent pour me payer le plein d’essence pour aller voir mes parents à Périgueux. Aujourd’hui, je peux me payer le billet d’avion plus souvent pour aller voir mes parents de Chicago à Périgueux !